54230€ PAR AN? RTL INTOX!

Mardi soir RTL (1) a annoncé qu’en Belgique les infirmier.e.s ne sont pas les plus mal payé.e.s d’Europe et avance le chiffre de 54000 euros annuel.

L’échelle barémique de la commission paritaire des soins de santé (2), bien que la moins mal lotie de ce qui est convenu d’appeler le secteur non marchand, est très en dessous des chiffres avancés par RTL. Outre les barèmes, quelques conventions collectives portent sur les dédommagements des débordements de la vie professionnelle sur la vie privée (primes de pauses pour les horaires de nuits, de we et jours fériés).

Alors pourquoi cette manipulation grossière des chiffres de la part de RTL? On pourrait se contenter de croire à une simple erreur journalistique d’un·e pigiste payé·e au lance pierre par la chaîne privée ou s’interroger très sérieusement sur une volonté manifeste de discréditer la mobilisation des agent·e·s de soins de santé et leurs revendications en les faisant passer pour, comme le disait la ministre Marie Christine Marghem sans sourciller, « des enfants (gâtés) qui n’ont pas eu ce qu’ils voulaient ».

Pourquoi parler en salaire brut annuel quand l’usage veut que l’on utilise la rémunération mensuelle et surtout sans préciser qu’il s’agit du brut?

Pourquoi ne pas rappeler que nos salaires deviennent acceptables grâce à ces primes de pauses, que les horaires décalés qui empiètent sur nos vies sociales et familiales ont aussi un lourd impact sur notre santé?

Pourquoi ne pas préciser que dû à ces horaires, la plupart des infirmièr·e·s  diminuent leur temps de travail pour concilier vie professionnelle et familiale, ce qui a un impact direct sur leurs revenus? 

Pourquoi ne pas rappeler que la pénibilité du métier est telle que les carrières sont courtes et bénéficient donc rarement des années d’ancienneté sur la fiche de paye?

Pourquoi nous comparer uniquement aux autres infirmiers européens et ne pas en profiter pour nous situer sur une échelle salariale avec les autres secteurs belges?

Pourquoi ne pas s’être intéressé aux conditions de rémunération des actionnaires des fournisseurs du matériel hospitalier (par exemple)?

Pourquoi ne pas évoquer les normes d’encadrement qui ne sont pas respectées dans les faits et de toutes façons insuffisantes (3) (4) (5), de sorte que nous voyons notre travail s’intensifier sans aucune compensation et que notre responsabilité pénale est engagée pour la plupart de nos gestes?

Pourquoi ne pas enquêter sur le dépassement de ces normes lié aux besoins cliniques et à une technicité de plus en plus pointue nécessitant beaucoup plus de temps de préparation, ni sur l’inflation administrative intenable liée à la tarification à l’acte et à l’idéologie de l’efficience et de la culture du résultat qui sont très loin du principe de la qualité des soins qui devrait être le seul curseur pour une politique de santé publique digne d’un pays dont le PIB est parmi les plus élevés au monde?

Et surtout, pourquoi faire passer le combat des services de santé comme étant celui d’une corporation en particulier qui tenterait d’obtenir encore plus de privilèges? La revalorisation salariale est une des revendications de La santé en lutte pour l’ensemble des métiers de la santé, pas uniquement pour les infirmier·e·s. Rappelons une fois de plus que le travail autour du patient dépend tout autant des aides logistiques, des aides administratives, des agent·e·s d’entretien, des brancardiers, des différent·e·s technicien·ne·s, cuisinier·e·s…. qui ont un salaire et des conditions de travail très loin d’être décents, à titre d’exemple un·e ouvrier·e du secteur des soins de santé fédéraux commence avec un peu plus de 23000 bruts pour un temps plein. Les soins de santé ne peuvent être défendus autrement qu’en considérant  chacun·e de ses intervenant·e·s.

Parler uniquement du salaires des infirmier·e·s biaise le débat sur la revalorisation du secteur de la santé. L’ensemble des travailleurs et travailleuses du secteur de la santé a vu ses conditions de travail se dégrader sans jamais être entendu (quelques miettes dans les accords non marchands).

Cette dégradation, qui porte autant sur les moyens matériels que sur les moyens humains engendre un épuisement des professionnel·le·s et une diminution de la qualité globale des soins de santé.

Aussi, la situation catastrophique des soins de santé, mise en lumière par la crise que nous traversons, ne peut se réduire à un problème de « pouvoir d’achat » des soignant·e·s. Il est indispensable de repenser complètement la politique de santé publique, aussi bien du point de vue de l’investissement dans les moyens matériels et humains, que dans l’orientation qu’on veut lui donner (préventif/ curatif) et que dans son accessibilité (rappelons que près de 4 personnes sur 10 en Wallonie et à Bruxelles postposent des soins nécessaires pour des raisons financières).

Il nous paraît fondamental que la société puisse se refonder sur ce qui lui paraît primordial. La crise Covid nous a fait la démonstration implacable de la déconsidération sociale et économique des activités vitales d’une part, et de la toxicité de beaucoup d’activités non essentielles et pourtant bien valorisées économiquement d’autre part.

Les conditions de travail et les salaires sont la reconnaissance de la valeur de notre travail et cette reconnaissance est insuffisante au vu de l’importance de nos métiers, tout comme pour la plupart des activités essentielles à la vie.

Pour finir, qu’il soit issu d’une erreur ou volontaire, ce reportage donne une image tronquée du secteur et de ses revendications. RTL Info désinforme et sert l’argumentation du gouvernement contre le personnel de la santé. « Diviser pour mieux régner » trouve ici sa déclinaison journalistique « Désinformer pour mieux servir ». 

#balancetafichedepaye
#AlloRTLINFO?

(1) https://www.rtl.be/info/belgique/societe/les-infirmiers-belges-sont-ils-plus-ou-moins-bien-payes-que-leurs-collegues-europeens–1220824.aspx

(2) https://www.maisonmedicale.org/Baremes-de-la-commission-paritaire-330.html

(3) https://www.santementale.fr/actualites/mortalite-le-ratio-infirmier-patient-en-cause.html

(4) https://kce.fgov.be/sites/default/files/atoms/files/KCE_325B_Dotation_infirmiere_synthese_2nd_edition.pdf

(5) https://www.santelog.com/actualites/hopital-le-nombre-dinfirmieres-fait-le-niveau-de-satisfaction-des-patients