Maison de repos, un double abandon

« Aujourd’hui, en tant que assistant en médecine générale, j’ai été participer à un dépistage en maison de repos. Toujours particulier, et un peu personnellement douloureux, de voir ces personnes presque délaissées de la société, que la maladie et l’âge abîment si souvent dans l’indifférence générale, sur le temps court comme sur le temps long.

Sur le temps court, avec la gestion de cette épidémie où on finit par s’habituer au fait qu’il faille envoyer l’armée et Médecins Sans Frontières pour limiter les ravages de la situation. S’habituer au fait qu’une Première Ministre puisse dire que le dépistage n’est pas plus rapide car il y a un manque « de personnel mais pas de tests » (ce qui est évidemment ridicule pour quiconque travaille dans les soins de santé en Belgique actuellement).

Ici la situation était en fait pas si calamiteuse en comparaison à tant d’autres endroits. Une petite maison de repos à la gestion « familiale », où on voit bien qui est issu de quelle classe sociale à la taille et à l’état des chambres. Le directeur avait été prévenu la veille au soir de l’organisation du dépistage dans sa propre institution (nous aussi, ce qui est moins grave). L’organisation un peu chaotique et le matériel de protection de qualité relative n’ont pas empêché toute l’équipe de faire un super travail.

Mais difficile de ne pas avoir un pincement au cœur en voyant des personnes si esseulées et en souffrance, comme cette dame à qui je souhaitais une bonne journée en sortant, qui m’a répondu « Comment voulez-vous qu’elle soit bonne ? ».

Il y a quelques mois, pendant une garde, j’avais été recoudre une dame dans une maison de repos, du genre l’institution dont la chaîne est cotée en bourse, certainement pas le pire endroit, où des centaines de résidents vivent dans des couloirs richement décorés… mais où trois employées doivent s’occuper de 150 personnes pour la nuit. L’infirmière m’avait confié que « c’est quand on est dans sa voiture qu’on souffle enfin, on n’a pas eu de mort, on a rien sur la conscience ».

Sur le temps long, il suffit de se rappeler de comment on traitait les organisations autour de « Santé en lutte », il y a seulement quelques mois, qui se battaient pour plus de moyens et de meilleures conditions de travail. De meilleures conditions de travail pour les infirmières débordées qu’on applaudit aujourd’hui à 20h ou encore pour les aide-soignants des maisons de repos sous-payés, souvent d’origine immigrée et dont la reconnaissance sociale est bien souvent inexistante.

À l’époque, pas d’applaudissement. Au mieux des édito et des commentaires politiques méprisants, au pire une indifférence médiatique enrageante. C’était aussi l’époque où une ministre de la santé pouvait dire sans complexe que si les infirmières protestaient « c’est qu’elles en avaient le temps » et celle où le consensus sur le « surplus » de médecins était dominant, avec en tête de proue les pires organisations corporatistes (l’Absym pour ne pas la nommer), les partis libéraux et conservateurs et bien souvent les autorités universitaires. Seul point positif de ce passé révolu, le roquet libéral AKA le Président du MR n’osait pas intimider les différents experts universitaires en les sommant de limiter leurs interventions publiques.

Je n’ai jamais eu beaucoup de respect pour la plupart des dirigeants libéraux. Les voir aussi méprisables humainement qu’ils sont minables politiquement et intellectuellement ne devrait pas être très surprenant.
Mais j’aimerais les voir ressentir ce que des millions de personnes vivent ces dernières semaines, de solitude, de souffrance, de deuil, d’épuisement, de rage sourde.

C’est la conséquence directe de leur idéologie fondée sur la primauté du marché et du profit, et de leur incapacité intellectuelle mais presque cognitive à imaginer un fonctionnement collectif différent. Alors même que le dévouement de tant et de tant de personnes qui se dépensent sans compter pour les autres illustrent d’une façon grandiose à quel point l’humain peut être beau. Pour « repenser demain » ou « construire la société d’après » il ne faudra pas se convaincre entre nous d’être solidaires, conscientisés ou informés. Il faudra combattre sans relâche les idées, les partis et les personnes qui mènent nos sociétés devant des situations si absurdes et tragiques, sans oublier les pâles lâches qui capitulent à la première occasion face aux menaces et à la propagande du libre-marché et de ses déclinaisons. »

Nicolas Pierre, assistant en médecine générale