Il faut en finir avec la moralisation des conduites, et la tyrannie de la responsabilité individuelle

« L’épidémie de Covid-19 frappe particulièrement durement les populations les plus précaires, explique le sociologue Andréa Réa, qui appelle à stopper les discours moralisateurs et invoque la responsabilité collective.

Le Covid-19 circule le plus dans les zones les plus pauvres, alertent les sociologues bruxellois Andréa Réa et Judith Racapé. En Seine-Saint-Denis, on enregistre ainsi 130% de surmortalité en 2020 par rapport à 2019. Pour Andréa Réa, il faut « en finir avec le discours moralisateur », qui laisse penser que les risques d’infections sont uniquement du ressort de la responsabilité individuelle, et commencer à parler de responsabilité collective.

Le problème du logement

« Je ne pense pas qu’il y ait des populations qui font moins de gestes barrière, mais il y en a qui sont confrontés toutes les minutes à la nécessité de devoir le faire », argumente le sociologue. En cause, deux facteurs principaux : le logement et le travail. En Seine-Saint-Denis toujours, l’Ined comptait ainsi en 2016 18 m2 par personne, contre 25 m2 à Paris. Pourtant, 42% des ménages y comptent au moins trois personnes, contre 22% à Paris et 35% en Île-de-France. Avec 6.802 habitants au km² (plus de 64 fois la densité moyenne en France), c’est aussi le troisième département le plus densément peuplé, derrière Paris et les Hauts-de-Seine, précise l’Ined. Des conditions d’autant plus propices aux transmissions que la cohabitation multigénérationnelle y est également plus fréquente que la moyenne, exposant les personnes âgées de la famille. « Il ne s’agit pas de comportements déviants vis-à-vis des gestes barrières par les populations défavorisées ou des minorités ethniques : la densité de population, le logement dégradé, la cohabitation multigénérationnelle, les logements collectifs et l’absence d’espace vert augmentent les risques », énumère Andréa Réa. « Ce qui est dangereux, c’est d’interpréter ça comme une criminalisation des comportements. »

Le travail « de contact »

Le facteur travail, lui aussi, pèse lourd. Les populations les plus précaires sont particulièrement représentées au sein des métiers « de contact », ces fameuses professions essentielles qui ont continué à sortir pendant le confinement. La Seine-Saint-Denis est d’ailleurs le département d’Île-de-France comptant la plus forte proportion de livreurs, caissières et agents hospitaliers, et le deuxième pour les aide-soignantes, d’après l’Ined. « D’autre part, c’est aussi dans ce département que les transports en commun sont le plus utilisés pour se rendre au travail (53 %, contre 43 % en moyenne en Île-de-France), ce qui est également un important facteur de risque face à l’épidémie », précise l’institut.

Pour Andréa Réa, il faut parler de responsabilité collective et non individuelle. « Dans l’usine allemande par exemple (les plus de 1.000 cas de Covid-19 repérés en juin 2020 chez les employés de l’entreprise Tönnies, ndlr), ce ne sont pas les conditions de travail qui jouent, mais les conditions de logement précaires associées et qui sont de la responsabilité de l’entreprise », dénonce-t-il. « Il faut intégrer les facteurs sociaux à l’ensemble des facteurs associés à la diffusion de la maladie et des traitements. Il faut en finir avec la moralisation des conduites, et la tyrannie de la responsabilité individuelle et incurie de la responsabilité collective par les employeurs, politiques, experts, etc », conclut le sociologue. »

Article initialement publié sur Sciences et Avenir
https://www.sciencesetavenir.fr/…/video-covid-19-et-inegali…