Parents, soyons solidaires !

« Depuis quelques jours, on crie au scandale sur les réseaux sociaux à propos de la réouverture des écoles (un peu moins sur celles des grandes entreprises non essentielles, trouvez l’erreur). Qu’il y ait débat sur l’opportunité de cette réouverture, c’est bien logique, mais beaucoup plus dérangeants sont ces tonnes de messages qui enjoignent aux parents de ne pas y mettre leurs enfants, posts dans lesquels on sous-entend allègrement que ceux et celles qui le feraient ne seraient au fond que des inconscient.e.s ou des égoïstes qui lâchent l’effort collectif, voire même qu’ils/elles seraient coupables d’une potentielle future recrudescence de l’épidémie.

Non, mais, sérieusement ? N’est-il pas un peu absurde, franchement malvenu, voire assez commode, de condamner des parents alors que, globalement, en y regardant bien, ils/elles n’ont pour la plupart quasi aucune marge de manœuvre ?

Il y a de nombreuses personnes qui, dans une situation idéale, choisiraient de ne pas mettre leurs enfants à l’école et éviteraient ainsi qu’ils soient potentiellement contaminés (vous connaissez beaucoup de gens qui souhaitent cette maladie à leurs gosses ? Pour eux-mêmes par effet boomerang ?). Mais franchement, peu de gens sont dans une situation idéale, et nombreux/ses sont, au contraire, ceux et celles qui ne pourront simplement pas faire autrement. Parce qu’il a été décidé que leur entreprise réouvre, et que tout le monde n’a pas le même poids quand il s’agit de négocier un « aménagement » avec un.e employeur/euse, ni pour résister à un.e patron.ne ou un.e client.e qui fait pression; parce que 6 semaines, ça fait long pour un.e petit.e. indépendant.e, et que les client.e.s ne vont plus attendre des mois, et sans client.e.s y a plus d’argent (le droit passerelle, parlons-en) ; parce que rester à la maison avec ses enfants pour qu’ils ne soient pas infectés, mais sans pognon qui entre pour les nourrir, ce n’est peut-être pas le meilleur calcul, ou peut-être que si, chacun « choisira » en fonction de son panel des possibles.

Il y a aussi ceux et celles qui craquent, des parents solos, en majorité des mamans, seul.e.s avec enfants depuis 6 semaines, sans aide, sans pause, en télétravail ou pas, qui voudraient pouvoir fièrement tout affronter, ou simplement y arriver encore un peu, qui culpabilisent sans doute de n’attendre que cette réouverture des écoles pour souffle enfin, en sachant leurs enfants en de bonnes mains et eux aussi soulagés de quitter quelques heures la maison. Et puis, il y a encore celles et ceux qui, justement, voudraient ou devraient les mettre à l’école, mais ne peuvent en prendre le risque, parce que vulnérables ou malades, être contaminé.e.s serait encore pire, ou finalement peut-être pas, ils/elles ne savent parfois plus, tellement elles/ils sont à bout, avec ce confinement, souvent depuis bien plus longtemps.

Et oui, c’est super de se retrouver en famille, échanger-jouer-expérimenter-se cultiver-prendre le temps, surtout quand on a l’énergie mentale, physique, qu’on est en couple, qu’on a du soutien, qu’on a de l’argent qui entre, ou de côté, un joli jardin, et l’esprit suffisamment libre pour accompagner gaiement les devoirs, imaginer des expériences scientifiques et des bricolages passionnants…

Et certainement, il y a un sentiment de culpabilité, de ne plus arriver à accepter ce moindre mal, de ne pas pouvoir faire face encore un peu au manque d’espace (mental, physique), au manque d’argent, voire de ne pas profiter de la situation, alors que les soignant.e.s mobilisé.e.s depuis des semaines ne les voient quasi plus, leurs enfants, et ne demanderaient sans doute pas mieux que de pouvoir rester confiné.e.s avec eux.  

Et non, effectivement, l’école n’est pas une garderie, et oui les enfants peuvent bien manquer 2,3 mois sans que cela ne les prédispose à vie au chômage et à la précarité, et non, on ne s’en fout pas des accueillant.e.s, profs, instits, ni du personnel de nettoyage, on se rend bien compte que cela va être l’enfer de devoir gérer les enfants dans un tel contexte, et on n’est pas forcément à l’aise avec cette idée.

Et évidemment, on craint tou.te.s les conséquences de ce déconfinement très probablement prématuré, on sait qu’il est plus dicté par des impératifs économiques que sociaux ou sanitaires, qu’il risque d’anéantir tous les efforts, et qu’une recrudescence des contaminations serait une véritable catastrophe pour les soignant.e.s complètement épuisé.e.s, on ne veut certainement pas leur infliger ça, être responsables de ça, ni de nouveaux malades, ni de nouveaux morts.

Mais les parents n’ont décidé ni du confinement et de ses conséquences, ni du déconfinement sans matériel de protection et tests à grande échelle. Condamner les parents, c’est se tromper de coupable, et c’est bien trop facile.

Dans la situation dans laquelle nous a enfermés le gouvernement, notre panel de « choix » est plus que restreint, on essaie tous et toutes de trouver comment agir, tenir, avancer. Durant le déconfinement, chaque acte que l’on posera individuellement sera bancal, malaisant, à risque, défendable et critiquable à la fois.

Alors, il vaut peut-être mieux rester solidaires les un.e.s des autres, ne pas se juger, se culpabiliser, et surtout rester mobilisé.e.s, faire entendre collectivement nos voix, aujourd’hui et demain, contre ce gouvernement qui, avec tous les moyens dont il dispose, lui, a pris les décisions qui ont précarisé les soins de santé et les soignant.e.s, mais aussi le système scolaire et son personnel, le monde culturel… et au final, a mis à mal le bien-être de l’ensemble de la population. »

Samantha, une parente confinée mais pas muselée