violences policières (6,7)

Préambule

Les charges injustifiées de la police contre notre rassemblement et les violences qu’ont subit plusieurs personnes le dimanche 13 septembre sont une attaque contre l’ensemble de notre manifestation et contre notre droit à défendre nos revendications.

Il ne fait pas de doute qu’il y a depuis le début des négociations avec le bourgmestre, Philippe Close, une volonté de faire taire la parole des soignant.e.s.

Le fait de charger notre rassemblement alors que nous terminons simplement nos discours est un acte politique clair d’intimidation. Ce qui s’en suit comme violences policières est le résultat de cette agressivité.

La police reçoit ses ordres du bourgmestre Close, qui est politiquement responsable de la violence faite aux soignant·e·s et leurs soutiens. Nous n’avons eu, jusqu’à aujourd’hui, aucune réaction de sa part.

Témoignages

(6) J’ai participé à la manifestation organisée par La santé en lutte ce dimanche 13 septembre à Bruxelles. Je m’y suis rendue avec des ami.e.s et nos enfants.

La mobilisation s’est très bien déroulée, elle était belle et vivante, et en même temps pleine d’émotion, parce que les personnes présentes étaient pour beaucoup des personnes exerçant des métiers essentiels et autres premières lignes, mais aussi des personnes qui ont particulièrement souffert du confinement (pas logés, mal logés, sans papiers, personnes âgées,…), toutes exigeant une revalorisation des soins de santé, et des conditions de vie et de travail justes.

Cela faisait bientôt deux heures que nous étions là, et la manifestation venait de faire « demi-tour » faute de pouvoir avancer (un important dispositif policier l’en empêchait). Il faisait chaud, et nous nous sommes mises à l’écart, vers 15h, à l’ombre des arbres du Mont des arts, pour nous désaltérer et manger un peu, avant de repartir nous promener dans un parc de la ville en ce dimanche après-midi.

policiers en armures

Pendant ce temps-là, en contrebas devant la maison de la bande dessinée, on a vu arriver de nombreux policiers en armures et armés. Interloqué.e.s, nous avons décidé de partir, de peur que la police ne charge et pour ne pas infliger ce triste spectacle aux enfants.

Alors que nous remontions vers la place des Palais et que nous empruntions les marches du haut du Mont des arts, nous avons été stoppé.e.s une première fois par une rangée d’une quinzaine de policiers, de nouveau portant l’équipement complet et des armures imposantes, « ça doit être super lourd, hein maman? ». Pour passer, les policiers nous ont imposé d’enlever tous les signes que nous portions en lien avec la manifestation. J’ai été contrainte d’enlever mon t-shirt sur lequel était inscrit « refinancement des soins de santé », ce que j’aurai refusé de faire si je ne portai pas une brassière en-dessous. Mon ami a demandé confirmation: « on ne peut plus porter de message politique en rue, maintenant? » Pas de réponse. Circulez.

J’ai eu des larmes de rage, parce que répondre à ces gens avec des mots qui auraient par exemple dit « Est-ce que vous pouvez nous indiquer le décret par lequel le port de message politique est devenu interdit dans les rues de Bruxelles? », c’est s’exposer à un contrôle d’identité, à une accusation arbitraire et à des coups, et que je n’ai pas envie que ma fille assiste à cela, et que je n’ai pas envie d’avoir mal. Et puis quiconque s’est déjà trouvé face à ces gens hyper armés sait qu’on se sent très faible et menacé face à eux, pas protégé.e. J’ai pleuré de rage de ce que la police semble vouloir tuer en nous, de ce à quoi ressemble ce monde dans lequel nous vivons.

premier barrage

Une fois passé ce premier barrage, nous pouvions voir d’en haut la mobilisation qui se poursuivait tranquillement (musique, prises de paroles, etc.). Les enfants, et nous aussi, avions du mal à quitter la scène des yeux. D’autant qu’un groupe important de policiers en armes, rejoints par ceux qui nous avaient barré le chemin, ainsi que plusieurs camionnettes, et deux autopompes, descendaient et s’approchaient de la place de l’Albertine, s’ajoutant à la pression imposée par le bruit de l’hélicoptère qui nous tournait autour depuis quelques temps. A ce moment-là, de nombreuses personnes ont commencé à quitter le rassemblement et à remonter le Mont des arts dans notre direction. La plupart des gens marchaient, mais on sentait un certain empressement tant le dispositif policier était imposant et menaçant. On a vu plusieurs enfants, de manifestant.e.s ou de passant.e.s, qui commençaient à paniquer et certains à pleurer.

Nous sommes donc nombreuses et nombreux à avoir remonté la rue de la Montagne de la Cour jusqu’à la Place des Palais. Un certain nombre de personnes ont pris à droite en direction du Palais de Justice – je ne suis pas certaine qu’il existait d’autre voie possible à ce moment-là vu la présence policière. En ce qui nous concerne, nous avions l’idée de monter dans le premier tram qui passerait pour aller nous promener dans un parc, mais la circulation des trams avait visiblement été interrompue. Nous étions alors quelques dizaines à marcher sur les trottoirs de l’avenue de la Régence, des personnes de retour de la manifestation et des passant.e.s. Aucun.e d’entre nous ne portait de signe visible de la mobilisation, ni t-shirt, ni pancarte, et aucun slogan n’était scandé.

gaz lacrymogène en main

Une voiture de police a alors déboulé sur l’avenue et s’est arrêtée en plein milieu. Deux individus en sont sortis, dont le commissaire Vandersmissen qui était reconnaissable vu qu’il ne portait pas de masque. Celui-ci semblait déterminé à faire quelque chose, on ne sait pas quoi, mais il avait un genre de très grosse bouteille de gaz lacrymogène en main. Il a vaguement observé les gens qui descendaient la rue, nous inclu.e.s, puis s’est dirigé vers deux personnes qui marchaient sur le trottoir opposé au notre, sur lequel il n’y avait presque personne (le trottoir de gauche quand on regarde le Palais de Justice), et leur ont ordonné de se tourner contre le mur, les mains en l’air – c’est ce que j’ai déduit du geste des deux personnes en question, qui se sont exécutées tranquillement. La plupart d’entre nous qui étions de l’autre côté de l’avenue avons alors prêté attention à ce qu’il se passait. Certaines se sont approchées, d’autres filmaient et prenaient des photos, signe de l’incongruité et du potentiel de violence qui transparaissait du comportement agressif des policiers. A un moment donné le commissaire a brutalement aspergé du gaz sur le visage d’une des deux personnes qui ne bougeaient pourtant pas, en plein dans les yeux, à bout portant. Cela a provoqué un mouvement dans le groupe de gens témoins de la scène, nous avons été quelques-un.e.s à demander aux policiers d’arrêter, depuis là où nous nous trouvions. En regardant ce qui se passait, il me semble que nous signifiions que nous étions là à observer, peut-être en espérant que notre présence arrêterait ce comportement absurde, violent et – autant que je sache – illégal. Nos enfants étaient comme tétanisés devant la scène.

C’est alors que plusieurs dizaines de policiers, de nouveau en armure et en armes, sont apparus devant nous, dans le bas du boulevard de la Régence. Il se sont déployés dans toute la largeur de l’avenue, des deux côtés, et ont commencé à avancer vers nous. On a commencé aussi à entendre de l’agitation derrière nous: d’autres policiers étaient occupés à nasser des gens plus haut, peut-être à les frapper – c’est ce que nous laissaient entendre les cris.

faire sortir les enfants de là

J’ai commencé à avoir vraiment peur pour tous ces gens derrière nous, mais il nous fallait quitter les lieux et faire sortir les enfants de là. On a avancé vers la police qui nous bloquait, indiquant la présence des enfants. Ils nous ont laissé passer (on a eu droit à un très ironique « et bon dimanche hein » suivi de rires que ma fille a bien relevé « il nous a dit bon dimanche en se moquant de nous »). En nous retournant, on a vu des policiers courir vers les personnes qui étaient bloquées sur le trottoir et n’auraient pu partir vu la configuration des lieux. L’ambiance était terrifiante.

Une fois à l’extérieur de la zone délimitée par la présence de la police, j’ai éclaté en sanglots, je n’arrivais pas à m’arrêter. Des gens étaient en danger et je ne pouvais pas les aider. Ma fille, 10 ans, a voulu me faire promettre que plus jamais je n’irai à une manifestation, elle m’a dit qu’elle ne voulait plus jamais, elle, se rendre à une manifestation, et que comme elle ne serait pas avec moi, c’était trop dangereux que j’y retourne un jour, parce que sans elle et le fils de mon ami, nous nous serions fait.e.s nasser, frapper et arrêter. Tous deux ont moins de dix ans. A l’école on va leur expliquer qu’on vit dans une démocratie. Comment pourraient-ils y trouver un sens après ce qu’il et elle ont vu, une police d’état qui chasse des gens de manière arbitraire, les violente et les arrête, et qui terrifie la population?

Il a fallu une heure, peut-être plus, pour calmer les enfants. En se couchant ce soir, le plus petit a dit à son père qu’il avait peur de faire des cauchemars à cause de la police. »

(7) Après eux le déluge

Dimanche 13 septembre. Sous le soleil de Bruxelles, entre Albert Ier et Elisabeth. Ici et en ce jour se tient la grande manifestation du secteur de la Santé. Autorisée par les autorités, à la condition de suivre les mesures sanitaires édictées par ces derniers. Par solidarité et parce que ma famille compte un membre travaillant dans ce secteur, je me rends avec mon ami au lieu de rendez-vous de l’événement sur les coups de 14h. Aucuns heurts, tout se déroule dans la détermination et un calme olympien. Tout autour de la zone de manifestation, les forces de l’ordre se déploient dès 14h30 pour éviter les débordements.

A l’intérieur de la nasse, la manifestation se poursuit sereinement. L’appel irrésistible de Whitney et son « I Wanna Dance With Somebody » s’échappant des baffles d’un groupe de manifestants mènera un instant la danse et les danseurs. Mais calmons-nous vite, il est « interdit de danser » !

15h30, la manifestation semblant toucher lentement à sa fin, mon ami et moi décidons de prendre le large. Nous prenons alors la direction du Mont des Arts et dépassons à peine Albert et son cheval que, derrière nous, nous voyons un rang de policiers bloquer abruptement l’accès à la zone. On se dit très naïvement qu’on a bien fait de se déplacer lorsque nous l’avons fait. Ah les grands, grands naïfs…

accès bloqués

Direction Place Royale. Là, les accès côté Parc et Rue de Namur sont bloqués également par des agents tactiques, casques, boucliers et pare-balles déployés. Nous prenons la seule alternative possible, Rue de la Régence, à défaut de pouvoir prendre le chemin le plus court vers le domicile. Et c’est ici qu’une scène absolument ahurissante et irréelle s’est déroulée avant même que l’on puisse se rendre compte qu’elle était véritablement en train de se dérouler.

Nous marchons tranquillement sur le trottoir côté Musées Royaux des Beaux-Arts lorsqu’en face, nous voyons un vieux commissaire ayant une certaine notoriété -et dont taire le nom revient également à le dévoiler, alors chuuuut !- contrôler un jeune homme tourné vers le mur, mains sur la tête. D’un coup, d’un seul, le commissaire envoie un coup de gaz lacrymogène au visage du garçon. Surpris, une demi-douzaine de personnes expriment vocalement leur humanité. Quelque mot déplacé qu’aurait été potentiellement formulé, le geste du commissaire n’était rien d’autre que contestable. Deux personnes tentent alors de se rendre sur le trottoir d’en face mais se font immédiatement et vivement refouler. Vivement étant un euphémisme. Des euphémismes, ce rapport de faits en est truffé, à vous de les reconnaître.

Le commissaire semble ensuite communiquer des instructions sur son talkie. Nous décidons par précaution de poursuivre notre route vers le Sablon et parvenons à l’angle Régence/Petit Sablon lorsque, soudainement, une horde d’agents tactiques nous bloquent agressivement la route, prêts à nous foncer dessus. Une famille doit, paniquée, leur signaler la présence de leurs enfants pour qu’ils s’en rendent compte et, de justesse, les laissent traverser la frontière sans dommages. Des voix nous hurlent de faire demi-tour. Ce que l’on fait dans le calme, malgré le choc. Mais cela ne suffisait apparemment pas. La horde se met subitement à charger, cogne dans le tas à l’aide des boucliers pour nous faire remonter la rue. Un peu plus haut, un policier en civil nous ordonne de nous aligner contre la clôture, ordre que l’on exécute immédiatement. Seulement, de l’autre côté, celui qui semble être le meneur de bande continue à nous invectiver d’avancer. Pris en étau entre les deux instructions contradictoires, nous nous faisons écraser comme du bétail jusqu’à ce que les deux hommes prennent conscience que le groupe, composé d’une vingtaine à une trentaine de veinards, obtempère et, surtout, n’est plus en mesure de bouger.

maîtrisée par trois agents

Entre-temps, face à nous et en plein milieu de la rue, une jeune femme se fait malmener, jetée au sol et maîtrisée par trois agents. Les autorités parleront bien entendu de « rébellion ». Ce dont j’ai été témoin s’apparentait, pour moi, à de la légitime défense de la part de la jeune femme, bousculée pour avoir formulé son opinion. Deux autres courageux tenteront de venir à son aide mais subiront le même sort. Quelques minutes plus tard, alors que tous, toujours sous le choc, tentent de faire sens des évènements, le meneur de la charge revient hurler de nous calmer. Chose assez cocasse et ironique puisqu’il était purement et simplement le seul individu occupé à hurler, le visage rougi par une colère déplacée, l’aveuglant et l’assourdissant complètement à la réalité qui se déroulait devant lui. Pas un ne levait la voix. Pas un ne se comportait d’une manière justifiant une telle attitude. Après avoir ensuite attendu la fin du défilé des canidés de brigade, dans une évidente et puérile tentative d’intimidation, nous pouvons enfin discuter entre nous et prenons conscience qu’outre le fait que seuls quelques-uns d’entre nous revenaient de la manifestation, nous avions tous en commun le fait d’être, comme le dira de manière éhontée le commissaire, « au mauvais endroit au mauvais moment ».

On nous apprend enfin au bout d’une dizaine de minutes que l’on est en « arrestation administrative » et que l’on allait donc devoir faire un tour dans les minibus affrétés pour un petit voyage improvisé. Destination : Inconnue. Dans le groupe, une jeune fille de 16 ans est en état de choc et en larmes, tremblante. Ses amies demandent à un policier si, étant mineure, elle pouvait s’en aller. « Nous appellerons ses parents » fut la seule réponse à la requête, laissant la gamine mariner dans son désarroi. Pendant ce temps, le vieux commissaire vient auprès de nous vérifier si la récolte était bonne. A une demoiselle, il demandera « Vous avez quel âge ? », question à laquelle elle répond « 20 ans ». Il la regarde, marque une pause et répond « Ah ça c’est bien… ». Qu’est ce qui est « bien », monsieur le commissaire ? Le fait que la jolie demoiselle ait 20 ans ? Ou le fait que la jolie demoiselle, ayant 20 ans, en fait une bonne cliente au profiling ? Souvent l’abstention vaut mieux qu’une réponse déplacée, mais il s’agit probablement là d’une notion facultative lorsqu’on accède à un certain niveau de pouvoir.

des « volontaires »

Suite des réjouissances. Un policier s’approche et demande des « volontaires » pour le suivre. Nous voilà bien ! Se porter « volontaire » à une arrestation injuste et injustifiée ou refuser et se faire embarquer de force pour refus d’obtempérer et « rébellion » ? Quel dilemme ! Que de choix ! Que faire ? … Allez hein, soyons fous, optons pour le volontariat ! Pendant que les « volontaires » se suivent un à un, se font consciencieusement fouiller au corps et entraver les bras à l’aide de Colsons, comme de simples voleurs à la tire, un couple de trentenaires se détache du troupeau de potentiels criminels pour demander à l’un des policiers de pouvoir quitter le cortège. Au contraire de ce qui s’est passé pour la jeune fille de 16 ans, on fera cette fois appel à ce bon vieux commissaire, qui jettera un rapide coup d’œil aux deux candidats à l’exil. Il leur répondra mielleusement qu’ils peuvent s’en aller car ils n’ont pas, je cite, « le profil ». Je vous laisse imaginer à quoi ressemblaient ceux qui auront eu la chance d’être « au mauvais endroit au mauvais moment » mais au bon profil. L’homme s’en va et, avec lui, les marques d’un hématome né de la rencontre entre son corps et un bouclier. Un bon profil, dont le poids des paroles aurait certainement pesé plus lourd dans la balance que celui des personnes m’entourant ou moi-même, qui avions manifestement et visiblement « le profil ».

Après m’être porté « volontaire », passé au crible et colsonné, je demande si l’entrave est vraiment nécessaire. « C’est la procédure, monsieur ». Ah d’accord ! Si c’est la procédure alors, pas de souci, je me sens tout de suite moins humilié. Mes droits fondamentaux peuvent continuer à faire la fête dans ma tête. « Vous pouvez voir sans lunettes monsieur ? »… Heu… Parce que vous avez l’intention de me les retirer ? Quelle est la bonne réponse ? Ouf, je semble avoir choisi la bonne et gagne le droit de ne pas être aveuglé. Allez hop, on monte dans le minibus pour une petite balade vers… Vers où monsieur l’agent ? Oh, c’est une surprise ? D’accord, chuuut !… A côté de moi, un jeune homme est complètement dépité de se retrouver sur ce siège, embarqué lui et son ami alors qu’ils étaient simplement en route vers la gare centrale pour prendre un train et ne connaissaient même pas la raison pour laquelle la manifestation du jour était organisée.

Casernes d’Ixelles

La route se poursuit ensuite tous phares déployés jusqu’aux casernes d’Ixelles. Là, on nous fera descendre un à un, filmés, puis enfermés dans un cachot par groupes de six à huit. Ah oui, j’oubliais les mesures sanitaires. La température bien sûr, prise à l’entrée du hangar à cachots. Il ne faudrait pas que les forces de l’ordre se retrouvent dans un cluster !. C’était moins grave pour nous autres, lorsque l’on était coincés en troupeau, Rue de la Régence, serrés les uns contre les autres dans l’attente du châtiment. Un mètre cinquante optionnel en cas d’arrestation aléatoire ? Aucun risque de transmission quand on est un délinquant potentiel ? Ah je ne savais pas. Toute explication scientifique est la bienvenue, Sciensano ! Un quart d’heure d’attente s’écoule avant que les camarades d’infortune commencent à être appelés les uns après les autres pour la suite de la « procédure ». Oui, seulement un quart d’heure, quelle chance ! Ne jamais nier le positif, aussi insignifiant soit-il. La « procédure » se poursuit par une fouille de sac et de personne. Sait-on jamais qu’entre le moment de la première fouille et la seconde, nos petits bras colsonnés aient pu glisser un élément incriminant dans une poche ou pochette. Le colson est retiré, dévoilant quelques petites marques souvenirs à même la chair. L’étape suivante est celle de ce que les ricains appellent le « mug shot », une séance photo associée ici à une séance d’habillage, histoire de vous capturer en images sous toutes les coutures avec chacun de vos vêtements. Une petite dernière à quelques centimètres du visage, pour la route. Oui, cher IA, tu atteindras la perfection ! Te voilà nourrie d’une trentaine de nouveaux visages à analyser pour tes prochaines séances d’entraînement. Si le prix en est ma dignité, que puis-je y faire après tout ? C’est certainement mon « devoir de citoyen » de t’y aider.

Après la séance de shooting – de photo ! Pas de mauvaise interprétation s’il vous plaît -, me voilà transféré dans un bureau dans lequel un agent notera des informations qui ne me seront jamais divulguées. Vous avez un casier monsieur ? Non, je n’ai pas cette chance monsieur. Je suis enfin dirigé vers la sortie, où je suis contraint de reprendre le joyeux minibus. Je veux rejoindre mon ami assis au fond mais on m’ordonne de m’asseoir devant. Ah ? Nous sommes toujours en état d’arrestation, donc ? Ok, j’obéis gentiment, en attendant l’heure de départ du véhicule… Celui-ci démarre et le retour se fait à l’image de l’aller, sans que la moindre information sur le lieu de destination ne nous soit dévoilée. Je serais finalement libéré du côté de la gare centrale. Mais alors que j’attends que mon ami sorte du bus, voilà que celui-ci redémarre sans avertissement. Surpris, je m’empresse de le suivre, sans savoir où il s’arrêtera. Naturellement, je le perdrais de vue assez rapidement et n’aurait connaissance du sort de mon ami que lorsque celui-ci m’appellera un peu plus tard pour me prévenir que sa libération s’est effectuée du côté du Palais de Justice. Une dispersion car nous autres, méchants délinquants, ne pouvons rester en contact les uns avec les autres.

Arrestations arbitraires

Heureusement, en 2020, il y a bien d’autres moyens d’entrer en contact avec d’autres victimes d’arrestations arbitraires. Arbitraire, le mot-clé. Arbitraire, le seul terme qui prévale dans toute cette affaire. De l’attitude des forces de l’ordre, nourrie par le comportement plein de désinvolture et de dédain de la haute autorité présente, à l’ensemble du déroulement des faits. Je devrais être en colère, mais ce n’est étrangement pas le cas. Je suis plutôt médusé. Dans l’incompréhension, le brouillard. De voir ces gens se balader et d’autres rentrer chez eux tranquillement, se faire soudainement bousculer, malmener, menacer… Le vivre moi-même… Voir une gamine de 16 ans se faire nier jusqu’à la possibilité de prévenir ses parents de l’épreuve psychologique qu’elle est occupée à vivre… Voir un couple se faire dispenser d’humiliation publique et personnelle parce qu’il n’a pas le « profil » …

Ma colère, car oui, elle pointe parfois le bout de son nez, c’est surtout à M. Slosse, porte-parole de la police, qu’elle souhaite adresser quelques mots. De lire ce matin 14 septembre que, je cite, “Nous avons dû intervenir plus fermement dans la rue de la Régence“, et du profil des gens arrêtés, qu’“il s’agit de personnes qui ont des antécédents dans différents types de manifestations“ me fait dresser les poils. L’intervention ferme n’aurait jamais « dû » avoir lieu. Strictement, absolument, affirmativement RIEN de RIEN ne justifiait l’expérience telle que nous l’avons vécue. Le terme « devoir » et la notion d’obligation qu’elle sous-tend est un mensonge. Et que dire de celui au sujet des pseudos antécédents ? Votre profil Twitter affiche « The police are the public and the public are the police ». Belle illusion.

Si, M. Slosse, vous avez l’autorité et la légitimité que votre poste vous confère pour pouvoir déblatérer de telles inepties à des médias qui prennent votre parole pour évangile, que puis-je y faire, moi, simple citoyen, hormis rapporter le vrai déroulement d’un après-midi que je ne risque pas d’oublier de sitôt et espérer que ma voix, qui ne porte pas aussi loin que la vôtre, soit entendue…

Redouan Sbaï, employé ULB & citoyen anciennement lambda nouvellement fiché. »