Obligation vaccinale et mesures « sanitaires » de contrôle

Vous êtes nombreux et nombreuses à nous interpeller concernant notre positionnement sur la question de la vaccination obligatoire pour le personnel soignant. Comme vous le savez, c’est un sujet délicat, qui cristallise les positions et les colères. D’autant plus qu’il vient dans un contexte global d’élargissement des obligations sanitaires, tel que le « Pass Sanitaire » ou « Covid Safe Ticket » en Belgique (CST).

Une confiance érodée

Tout d’abord, nous pensons qu’il est important de rappeler que nos décideurs politiques ne nous ont pas habitué·es à la confiance. Celle-ci s’est d’ailleurs plus qu’érodée depuis le début de la pandémie Covid-19. En effet, nous, personnel soignant, ne pouvons pas oublier que ceux qui imposent aujourd’hui l’idée d’une vaccination obligatoire, sont ceux qui nous ont envoyé travailler dans nos unités sans matériel en suffisance, sans effectifs en nombre, nous obligeant à prendre des risques pour nos vies et celle de nos patient·es. Que nos décideurs politiques nous ont obligé à aller travailler malade, positif·ve au Covid-19, pire, sans masque dans les maisons de repos où des milliers de personnes sont décédées faute de mesures adéquates et de matériel. Nous avons des centaines d’exemples d’une gestion négligente voire criminelle de la pandémie : masque sous clé non disponible aux travailleur·euses, consigne de l’AViQ (1) déconseillant le port du masque, refus de financement de respirateurs, injonction à retirer nos masques, interdiction de prendre du matériel de la maison pour se protéger sur notre lieu de travail, etc. etc.

Nous, soignantes et soignants, avons donc été surexposé·es au virus en début d’épidémie du fait de décisions coupables de l’État, se souciant uniquement des impactes financiers, ignorant toute approche scientifique, traitant notamment les épidémiologistes de « Drama Queen ». Il est, nous pensons, bon de s’en souvenir !

Des mesures partisanes, contre-productives et antidémocratiques

Aujourd’hui cette même classe politique affirme que pour enrayer la pandémie elle n’aurait pas d’autres moyens que de forcer les individus à se faire vacciner. Elle aurait bien essayé de le faire « pacifiquement » mais n’y serait pas arrivé faute de compliance de la part de la population. Elle va donc augmenter le contrôle et la contrainte via le CST ou l’obligation vaccinale pour les soignant·es.

D’abord, cette politique pose une vraie question de démocratie. « Qui prend quelles décisions et pourquoi? » est une question que nous nous posons souvent à La santé en lutte. En l’occurrence nous rejoignons les inquiétudes de la Ligue des Droits Humaines (LDH) sur le bien fondé et la proportionnalité de telles mesures : « Les autorités publiques ont-elles une idée précise de l’impact que le Covid Safe Ticket pourrait avoir sur la situation sanitaire et, cela, au regard des restrictions des libertés individuelles qu’il engendrera ? Il est en effet indispensable qu’une analyse d’impact sur les droits fondamentaux soit préalablement réalisée avant toute mise en œuvre de ce dispositif » (2).

Ensuite, elle détourne les responsabilités sur la situation sanitaire du pays. Comme décrit précédemment lors d’un de nos communiqués sur la deuxième vague de la rentrée 2020 (3). La sur-responsabilisation des individus cache la responsabilité de l’État dans la gestion de la pandémie. Ce que nous écrivions sur la deuxième vague est valable également à propos de l’obligation vaccinale et le CST : « Le discours politique général vise aujourd’hui la responsabilisation des individus face à une crise sanitaire que seul le comportement de la population permettrait d’endiguer. En somme, s’il y a une deuxième vague ce serait parce que nous serions une population immature et indisciplinée. Cette vision libérale nous infantilise et surtout, déresponsabilise nos dirigeants : notre gouvernement et nos responsables patronaux, notamment. »

Cette rhétorique commode et traditionnelle du libéralisme permet ainsi à nos dirigeants de nous contraindre tel des irresponsables sans poser la question de la responsabilité de l’Etat dans l’échec de la campagne de vaccination et l’absence de refinancement des soins de santé.

Enfin, elle présente la vaccination comme unique solution à l’épidémie. Or, même si les vaccins protègent en grande partie contre les formes graves du Covid-19, ils ne sont pas suffisant pour enrayer la pandémie. Il manque dans l’équation contre le virus, de manière assez évidente, une vraie politique de prévention, une augmentation de l’accès au système de santé et un renforcement des budgets. Aujourd’hui, force est de constater que la pénurie importante de soignant·es force les hôpitaux à fermer des lits et met ainsi en danger des patient·es. Ce phénomène n’est pas nouveau, nous le dénonçons depuis des années et pourtant les différents gouvernement maintiennent des conditions de travail insupportables. 

Nous pensons que l’obstination du gouvernement à mettre en avant la vaccination comme seule solution à la pandémie est motivée par le refus d’améliorer l’état des nos services de santé et par les énormes bénéfices réalisés par les groupes pharmaceutiques. Ces derniers ont ainsi vu leurs chiffres d’affaires s’envoler pour atteindre des records historiques. Ce monopole sur les vaccins contre le Covid-19, accepté et défendu par nos dirigeants, a permis par l’investissement d’environ 100 milliards d’argent public de différents pays, d’offrir à des entreprises comme Moderna, Pfizer et BioNTech, plus de 26 milliards de ventes rien qu’au premier semestre 2021. Et pas un centime de cet argent ne sera investi dans le secteur de la santé, soyons en sûr ! Pire, aujourd’hui, ces mêmes entreprises augmentent leur prix sans honte (4).

Ce choix de maintenir le monopole de certaines entreprises pharmaceutiques d’une part et de consacrer l’ensemble des investissements publics dans la recherche privée d’autre part est néfaste dans la lutte contre le coronavirus et une perte considérable pour la collectivité. Car si le taux de personnes vaccinées en Belgique avoisine les 80% aujourd’hui, il est important de voir que quelques pays « riches » se partagent les 3/4 des vaccins administrés. Le maintien des brevets sur les vaccins et leur prix creusent un fossé entre les plus riches et les plus pauvres de la planète. Dans 29 pays les plus pauvres, où vit environ 9% de la population mondiale, à peine 0,3% du nombre total de vaccins a été acheminé. Sur l’ensemble du continent africain, moins de 4 % de la population a été vaccinée deux fois. Il est donc évident que la campagne mondiale de vaccination est un échec et que cette politique dangereuse abandonne les personnes fragiles qui ne vivraient pas au « bon endroit ». Ces choix politiques nous reviendrons en pleine face, sous la forme de nouveaux variants.

« Pour essayer de limiter le risque d’émergence de nouveaux variants, la seule solution est de vacciner l’ensemble de la population mondiale. En l’état, c’est impossible du fait de la captation des vaccins par les pays riches. » Christophe Prudhomme, porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France, urgentiste au Samu de Bobigny et syndicaliste CGT (5)

Ainsi, Il est évident pour nous qu’une bonne gestion de l’épidémie à l’échelle nationale et internationale devrait adopter une stratégie privilégiant le bien commun, la démocratie, le soin, la prévention et l’accès à la santé. Si une grande partie de la population mondiale est aujourd’hui non vaccinée c’est en raison de choix politiques qui préfèrent les intérêts privés aux intérêts collectifs maintenant ainsi les brevets sur les vaccins et réduisant par ce fait sa production et son accès. Si une partie encore trop grande de la population belge est aujourd’hui non-vaccinée c’est en raison d’un manque d’accès aux soins, de la fracture sociale et de la désinformation. 

Mais c’est aussi en raison d’une défiance envers l’Etat que ce dernier entretien en grande partie lui-même par ses choix politiques. Nous comprenons et soutenons cette défiance d’une partie de la population. Mais nous disons aussi que rejeter ce gouvernement ne veut pas dire rejeter des mesures qui pourraient endiguer la pandémie comme la vaccination. L’épidémie est bien réelle, face à la cinquième vague nous ne pouvons que le constater une nouvelle fois.

Oui à la vaccination, non à l’obligation vaccinale !

Nous sommes donc contre l’obligation vaccinale mais pour la vaccination globale !

« Le pass est une mesure politique autoritaire dont l’efficacité est contestable. Il vaut mieux être pédagogue, il faut expliquer les risques. […] Le pass, comme toutes les mesures coercitives, a peu d’efficacité. Les gens doivent être convaincus par les bonnes pratiques. » Christophe Prudhomme, porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France, urgentiste au Samu de Bobigny et syndicaliste CGT (5)

Au lieu d’obliger la population et les soignant·es a se faire vacciner en mettant en place des mesures discriminatoires et/ou en imposant la vaccination, nous considérons qu’il faut lever les brevets sur les vaccins et, comme nos collègues français, « que le gouvernement aurait dû et devrait mettre en place une véritable lutte contre la pandémie en donnant des moyens aux hôpitaux […], en allant à la rencontre des populations les plus éloignées du système de santé pour leur donner un accès à la vaccination et en mettant en œuvre une information publique transparente et nuancée. » SUD Solidaires (6)

Mais refuser l’obligation vaccinale ce n’est pas accepter les discours qui érigent la liberté individuelle en valeur absolue, au mépris de la société. Cette conception libertarienne, c’est-à-dire égoïste et libérale, n’a rien à voir avec la conception qui est la nôtre. Nous pensons, qu’en société, il peut y avoir des nécessités sociales qui surclassent la liberté individuelle. En l’occurrence, l’endiguement d’une pandémie dont le caractère exponentiel peut brutalement saturer le système de santé.

En somme, et aux regards des différents éléments décrits plus haut, La santé en lutte, considère qu’il est faux de prétendre que l’obligation vaccinale est la meilleure solution pour faire face à cette pandémie mondiale. Nous adoptons une position qui pourrait se résumer en ce slogan : Oui à la vaccination, non à l’obligation vaccinale ! nous exigeons une véritable politique de santé publique axée sur la prévention, ainsi que la Levée des brevets immédiate et production et distribution urgente de vaccins à toutes celles et ceux qui le nécessitent partout sur le globe ! plus de transports en commun, plus de classes et d’enseignant.e.s, plus de possibilités d’accueil des personnes privées de domicile, régularisation des personnes sans papiers, plus de moyens matériels et humains dans les services de santé de proximité et dans les hôpitaux

Nous vous invitons d’ailleurs à soutenir la campagne noprofitonpandemic en signant l’initiative citoyenne européenne (7) afin que la Commission européenne prenne des mesures pour faire des vaccins et des traitements anti-pandémiques un bien public mondial, librement accessible à tous.

Un petit texte tourne beaucoup pour l’instant dans le milieu, nous nous permettons d’en reprendre quelques phrases pour conclure :

« Si les soignants ne se font pas vacciner on supprime leurs salaires !
Si les soignants se mettent en grève on va les chercher de force à leur domicile !
Si les soignants font 60h par semaine on leur promet des récup.
Si les soignants manifestent, on les gaze.
Si les soignants sont positifs covid mais asymptomatiques, ils doivent venir bosser. […]
La répression, la crainte et le chantage ne font pas changer l’avis des gens, ça ne fait que le renforcer ! »

(1) AViQ – Agence pour une Vie de Qualité. Organe du gouvernement wallon en matière de santé

(2) https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_extension-du-pass-sanitaire-la-ligue-des-droits-humains-demande-des-balises?id=10850982

(3) https://lasanteenlutte.org/gestion-calamiteuse-et-defiance-sanitaire/

(4) https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_l-augmentation-des-prix-des-vaccins-pfizer-et-moderna-suscite-la-reflexion?id=10816699

(5) https://www.revue-ballast.fr/sante-vaccin-et-pass-discussion-avec-le-medecin-urgentiste-christophe-prudhomme/

(6) https://solidaires.org/IMG/pdf/1628180718solidaires-aude-aout-2021-passe-sanitaire-pdf.pdf?30519/4396b35fccd65400a23c5c460afab8461b97c3da

(7) https://noprofitonpandemic.eu/fr/