Hier soir, pendant ma garde, j’ai vécu un des moments les plus intenses de ma carrière

Pour remettre les choses dans leur contexte, je suis aux soins intensifs à l’UZ Brussel depuis six semaines dans les conditions que vous imaginez sans peine.

Sur les 15 derniers patients covid que j’ai soignés, seulement deux ont survécu à ce jour (même constat chez mes collègues). Le pire moment, c’est quand le patient est encore pleinement conscient mais n’a plus assez d’oxygène dans le sang. On doit alors l’intuber afin que le respirateur lui insuffle de quoi survivre. Je lui explique alors qu’on va l’endormir pour “quelques jours” afin que ses poumons puissent récupérer avec l’aide de la machine. Ensuite le patient peut appeler sa famille quelques minutes pour leur parler avant que je le plonge dans un sommeil artificiel.

Sommeil artificiel

En lui disant ça, les yeux dans les yeux, je sais que je lui mens. Je suis souvent la dernière personne à qui il parle. Dans 80-90% des cas, une ou deux semaines plus tard je rappelle la famille pour leur dire que c’est fini : surinfection pulmonaire, insuffisance rénale terminale, insuffisance cardiaque, ischémie digestive, … Bref, la merde à tous les niveaux.

Pourtant hier, on a réussi à guérir un patient et à lui retirer ce foutu tube qu’il avait dans la gorge. Quelques heures plus tard, je lui ai proposé d’appeler sa famille pour leur donner des nouvelles lui-même. Son visage s’est illuminé d’une manière quasi surnaturelle quand il a vu sa femme et ses enfants sur l’écran. Ses yeux, son sourire débordaient de joie, de soulagement et de vie. Il n’était plus ce patient anonyme en train de pourrir dans un lit, mais un père, un mari, un homme qui ne se rendra sans doute jamais compte d’à quel point il est passé près de la fin.

sentiment de joie mélangé de tristesse

Je le regardais de loin, avec ce sentiment de joie mélangé de tristesse. Content d’avoir enfin servi à quelque chose, et surtout de ne pas avoir dû mentir, pour cette fois… »

François, médecin intensiviste.