Saint-Luc en lutte : L’hôpital du futur ? Big Brother à Saint-Luc

Robotisation et déshumanisation des soins, une soignante des Cliniques universitaire Saint-Luc a transmis à La santé en lutte un témoignage décrivant une situation inquiétante pour les travailleur·ses, provoquant départs, burn-out, et nuisant aux soins.

En effet, pour plus d’une centaine de million d’euros, un nouveau programme informatique a été développé par une firme américaine et par le management de Saint Luc pour réorganiser le travail et la gestion des données des patient·es. Ce programme informatique révèle une nouvelle conception du management, ou plutôt, il concrétise une vision du management, venue du privé, imposée aujourd’hui dans le milieu des soins. Une vision où nous sommes toutes et tous remplaçable et corvéable à merci ! Une vision déshumanisante d’augmentation de la productivité et de maximisation de la facturation pour plus d’entrée d’argent. Une vision de contrôle, partout, tout le temps, via l’outil informatique, et d’évaluation pour plus de pression.

Les logiques managériales inhumaines de la rentabilité nuisent gravement à la santé. La santé en lutte soutient activement les travailleur·ses de Saint-Luc. La santé n’est pas une marchandise, les travailleur·ses ne sont pas des machines !

Témoignez ! 02 315 66 74 / lasanteenlutte@gmail.com

Témoignage

Je suis infirmière. A 6h40 je suis à l’hôpital. Je commence à 7h. J’arrive à mon casier, je me scanne. Je me change et je prends l’ascenseur, je me scanne. À Saint Luc, le temps de vestiaire n’est pas payé!

J’arrive dans mon unité. Il est 7h. J’écoute le rapport. Je commence mon tour. Je me logue / je me scanne / je m’attribue mes patients. Je rentre dans la chambre de mon premier patient. Je me scanne sur le smartphone / je scanne le patient / je scanne les médicaments.

Je n’ai pas vraiment besoin de savoir ce que je lui donne / l’ordinateur vérifie / l’ordinateur sait. Je ne sais pas vraiment ce qu’il a reçu plus tôt / c’est l’ordinateur qui sait. C’est l’ordinateur qui m’avertit si je donne un médicament trop tôt. Je ne dois plus vraiment connaitre le nom du patient / l’ordinateur sait / l’ordinateur vérifie.

Je dois prendre les paramètres de mon patient / l’ordinateur me l’a dit. J’encode les paramètres dans le smartphone / j’ai scanné le patient / l’ordinateur me dit que tout va bien. Ah / attention / notification / j’ai oublié de vérifier l’état de conscience de mon patient, pourtant celui-ci sort demain… J’encode / l’ordinateur vérifie / tout va bien / l’ordinateur me l’a dit. 

Le patient a mal / le patient m’appelle / je scanne le patient / j’encode l’évaluation de la douleur / je vais chercher un dafalgan dans la machine / je me scanne / je me logue / je scanne le patient/ je scanne le médicament / je donne le médicament.

Ce matin j’ai refait les pansements du patient, j’ai vérifié la propreté. J’ai oublié de le noter dans l’ordinateur. L’ordinateur le sait. L’ordinateur a vérifié : je n’ai pas refait mes pansements car rien n’est encodé dans l’ordinateur. J’ai pas eu le temps d’encoder. C’est la pause, j’ai le temps. Je prends mon smartphone à la pause / je me logue / je clique sur le patient / je clique sur l’onglet / je clique sur le sous onglet / je clique sur le bon pansement / j’encode l’heure / j’évalue / type de pansement / longueur / largeur de la plaie / aspect… J’avais évalué le pansement, mais je ne l’avais pas encodé, ce que je sais l’ordinateur ne compte pas, ce que j’encode compte. Je clique sur le pansement suivant…

Je ne connais pas vraiment le nom de mon patient, je ne dois pas vraiment le connaitre, l’ordinateur le connait, c’est ça qui compte. Je ne connais pas vraiment son traitement, pas grave, l’ordinateur sait, l’ordinateur me dit quoi donner, l’ordinateur me dit quand le donner. La machine me délivre les médicaments à donner. L’ordinateur sait, c’est ça qui compte. L’ordinateur compte les actes et donne la cadence de travail, le temps humain ? La relation ? Calmer l’anxiété, rassurer, expliquer ? C’est pas dans l’ordinateur / rappelez-vous / c’est l’ordinateur qui compte.

Je dois bien remplir l’ordinateur / c’est là-dessus que je suis évaluée / que je suis surveillée. Bien faire son travail c’est important. Je dois bien remplir l’ordinateur car c’est ça qui compte pour le financement. Être financé c’est important. Dans mes chambres, le travail est fait / mais c’est pas vraiment ça qui compte. C’est l’ordinateur qui compte / L’ordinateur c’est important.

D’ailleurs il a coûté cher le programme dans l’ordinateur / on parle de plus d’une centaine de millions. Un programme « du futur », pour un hôpital « du futur ». Pourtant, l’ordinateur nous renvoie dans le passé, celui des travailleurs à la chaîne. Encode / scanne / donne / vérifie / maintenant / à 10h / à 12h / dans une heure / attention / tâche non réalisée / à faire / dû / administré /…

Le nom du patient ? Je ne le connais pas vraiment / je ne dois pas vraiment le connaitre / l’ordinateur sait / l’ordinateur commande. Derrière l’ordinateur, le management prend le contrôle. Les professionnels, aujourd’hui, exécutent. Mon humanité ? Ma professionnalité ? J’en ai été dépossédée. L’ordinateur sait / l’ordinateur vérifie. Je scanne… encore.. et encore.

Nous avons perdu le contrôle, le management a renforcé le sien… Pourtant pour soigner correctement les patients, nous devons sans cesse lutter contre la machine, car celle-ci est incohérente, illisible, incomplète et dangereuse pour les bons soins. Alors sans cesse nous contournons, by-passons, vérifions, modifions… Nous luttons pour reprendre le contrôle, nous luttons contre l’imposition de la normalisation du soin pour y apporter individualisation de la prise en charge, pour y apporter l’humanité nécessaire aux soins.

Nous luttons, chaque jour, contre l’incohérence de la machine pour pouvoir donner des soins de qualité, parfois même, pour garder tout simplement nos patients en vie… 

La machine et le management tentent de nous déposséder et en nous dépossédant ils mettent en danger nos patients. Pour nous et pour la qualité des soins, il est essentiel que nous reprennions le contrôle, que nous nous réapproprions nos métiers. C’est notre professionnalité, nos savoirs et notre expérience qui garantissent des soins de qualité… pas un code barre !

Un hôpital n’est pas une entreprise ! 

Les travailleurs ne sont pas des robots.

Les patients ne sont pas des objets.