VIVALDI : LA PARTITION QUI SONNE FAUX

Analyse de l’accord de gouvernement

Le nouveau gouvernement Open VLD-MR-PS-Sp.a-CD&V-Ecolo-Groen dit « Vivaldi » est né.

Avec ce gouvernement viennent des intentions, c’est la « note de formation », l’accord gouvernemental en somme. Nous l’avons (un peu) épluché pour voir si nous y trouverions de belles surprises pour notre secteur.

Augmentation de la norme de croissance budgétaire

La norme de croissance budgétaire de la santé est revue, elle passe de 1,5% à 2,5% à partir de 2022. Cette norme de croissance correspond à l’évolution du budget de la santé. Celui-ci doit augmenter en fonction de l’évolution démographique (vieillissement, natalité,…) de la Belgique. Il doit également pouvoir répondre aux nouveaux défis de santé de notre société.

Bonne nouvelle ? A priori dans un contexte de restrictions si un budget augmente ça ne peut pas en être une mauvaise. Mais est-ce que cela sera suffisant ? Ça reste à voir…

Rappelons cette analyse dans le journal Le Soir (avril 2020) de l’évolution budgétaire de la santé(1) : « En 2012, le fédéral a consacré 21,5 milliards aux soins de santé (les dépenses Inami pour les hôpitaux, les médecins, les autres soignants, les médicaments…), en 2014, on était à 22,4 milliards, soit une hausse réelle des dépenses de 2,01 % par an. En 2015, on grimpe à 23,1 milliards pour atteindre progressivement 26,5 milliards en 2019, soit une hausse de 4,16 milliards (18,6 %) en 5 ans, soit aussi une hausse moyenne annuelle de 3,72 %.

Alors pourquoi toutes ces plaintes sur le budget des soins de santé ? Parce que quand on retire l’indexation (autour de 2 %), le solde ne permet pas, depuis des années, de couvrir la croissance naturelle des besoins (hors nouvelles initiatives). Et parce qu’il y a eu des trains d’économies qui ont fait très mal : 547 millions sous Demotte en 2005, 425 millions sous Onkelinx en 2012 et, évidemment, 900 millions d’euros sous Maggie De Block sur le budget 2017. »

Il ne s’agit donc pas d’un refinancement

Toujours d’après cet article, pour l’économiste Philippe Defeyt il faudrait minimum une augmentation de 1% de la norme de croissance pour couvrir seulement la hausse des dépenses liées aux évolutions socio-démographiques. Si nous rajoutons à cela les 2% d’indexation nous arrivons à une norme de croissance théorique de 3% pour continuer à couvrir les besoins en soins de santé et ceci en dehors de toute évolution budgétaire permettant de financer des politiques nouvelles de Santé : prévention, réduction des inégalités face aux soins, réduction de la facture patient, développement d’expertises nouvelles, révision des normes d’encadrement, etc. Il ne s’agit donc pas d’un refinancement.

D’autres études avancent qu’il faut une norme de croissance au minimum à 2% pour simplement couvrir les dépenses de santé normale à politique constante.

Si par contre la norme de croissance est considérée en dehors de l’indexation nous devrions voir à partir de 2022 une augmentation de 4,5% du budget de la Santé. Ceci reste encore à voir, nous y serons attentif. De plus, il faudra analyser ce à quoi serviront les montants dégagés et si ces montants sont ponctionnés au détriment d’autres branches de la sécurité sociale.

Enfin, une norme de croissance à 2,5% reste une norme austéritaire. A titre de comparaison, elle était, sous le gouvernement Verhofstadt, de 4,5%. La nouvelle coalition semble vouloir nous vendre une temporisation de la régression budgétaire pour une augmentation « historique ».

Surconsommation médicale

Autre objet d’économie : la lutte contre la « surconsommation » médicale. L’autre travail que Maggie De Block avait commencé, celui de la chasse aux prescriptions, sera poursuivit par Franck Vandenbroucke. En effet, un volet sur la « surconsommation » des soins, médicaments et analyses, prend une place importante dans le volet Santé de la note de formation.

L’idée est de responsabiliser les médecins qui prescriraient trop facilement et les patient.e.s qui consommeraient à outrance. Ce concept de culpabilisation individuelle fait fi d’une analyse systémique de notre fonctionnement de soins: lobbying important des entreprises pharmaceutiques sur le corps médical qui pousse ce dernier à prescrire à tout va; diminution du séjour d’hospitalisation rendant le recul clinique plus difficile ; financement des hôpitaux au prorata des actes médicaux ce qui pousse le corps médical et les directions hospitalière à prescrire des examens à tout va; accent sur le curatif plutôt que le préventif; non prise en compte des aspects psycho-sociaux des patient·e·s qui induit une résolution médicamenteuse des problématiques; etc.

Ce n’est donc pas l’individu qui surconsomme c’est le système qui pousse à la surconsommation car celui-ci en retire un intérêt direct : la vente de médicament et les bénéfices des entreprises pharmaceutiques, notamment.

« s’attaquer aux symptômes plutôt qu’à la cause »

Le gouvernement choisit donc de s’attaquer aux symptômes plutôt qu’à la cause de la maladie de la consommation. Notre nouveau ministre de la Santé continuera t il, comme Maggie De Block, à limiter l’accès à la médecine pour éviter de former des « prescripteurs »? Le désert médical ne semble en tout cas prêt de reculer.

Enfin, comme pour légitimer cette lutte à la surconsommation par la responsabilisation et la culpabilisation des individus, le gouvernement ajoute que « La sous-consommation de soins doit aussi être une priorité ». Sans aucune précision, ni objectif, ni proposition d’actions alors qu’on parle ici de toutes celles et ceux qui n’ont pas accès au système de soins de santé, de toutes celles et ceux qui doivent reporter leur consultation ou la prise de leur médicament car ils n’en ont pas les moyens, de toutes celles et ceux qui ne sont pas soigné·es correctement. Ils et elles méritent plus d’attention que cela.

Par l’importance accordée à la diminution des coûts des soins plutôt qu’à l’augmentation de son accessibilité, nous pouvons voir où le nouveau gouvernement met ses priorités.

En filigrane de cette proposition il faut souligner le prisme libéral de cette formation gouvernementale: considérer le soin comme un bien de consommation justifiant ainsi la mise en place de la tarification à l’acte et imposant ainsi aux soignant·e·s une comptabilité opposée à la philosophie du soin.

1,2 milliards

C’est la grande nouvelle, concernant la Santé, de ce gouvernement : 1,2 milliards pour le secteur ! Indépendamment de la norme de croissance, c’est la promesse d’un refinancement du secteur.

Un cadeau? Vraiment? Détaillons, que représente ces 1,2 milliards ?

Premièrement, dans ces 1,2 milliards, il y a le Fonds des Blouses Blanches : 400 millions d’euros. Ce fonds est en réalité un acquis de lutte et non un cadeau du futur gouvernement. En effet, suite aux grèves et mobilisations de 2019, nous avons obtenu, par le rapport de force, un financement pour de l’engagement de personnel soignant.

Pour se faire une idée, 400 millions d’euros représentent, par exemple, à l’échelle des Cliniques Saint Luc à Bruxelles (5000 travailleur·euse·s) plus ou moins 25 nouveaux engagés. Cela sera, certes, une bouffée d’oxygène pour certaines unités mais on est loin de la révision des normes d’encadrement nécessaire pour garantir la sécurité des patient·e·s. Pour rappel le KCE préconise 5 patient·e·s par infirmièr·e pendant la journée et 8 patient·e·s par infirmièr·e la nuit. Aujourd’hui, en Belgique, ce ratio est en moyenne de 9,4 le jour et de 18,1 la nuit ! Ainsi le KCE prescrit « L’implémentation de ratios patients/infirmier sûrs exige un investissement substantiel » soit l’engagement de 5000 à 6000 ETP. En l’étatsleystème de soins de santé ne garantit pas la sécurité des patient·e·s.

Sans compter que ce Fonds des Blouses Blanches finance prioritairement des soignant·e·s, il n’y a donc pas de financement pour les métiers logistiques, administratifs et hôteliers qui constituent une part importante du fonctionnement de notre système de soins. Ces métiers, précarisés, impactent directement la qualité des soins.

réforme barémique IFIC

Deuxièmement, dans ces 1,2 milliards, il y a le financement de la réforme barémique IFIC : 600 millions d’euros. Ce qui représente une augmentation salariale globale de 5% pour les soins de santé fédéraux. Secteur qui n’a pas connu d’augmentation salariale depuis des années. Cette réforme, amorcée depuis quelques années, était au point mort avant la crise sanitaire. Il aura fallut une pandémie et un mécontentement évident du secteur, pour relancer les négociations.

Celles-ci ont donc abouti, pour le pire et pour le meilleur. En effet, cette réforme va recomposer totalement les évolutions salariales dans le secteur. Certain.es travailleurs.euses vont y gagner, d’autres y perdre.

Enfin, troisièmement, 200 millions vont à un refinancement de la santé mentale.

En somme, là où le nouveau gouvernement présente un refinancement il faut y voir une continuation du travail de lutte et de négociation pour des meilleures conditions de travail. C’est, en réalité, le rapport de force que les travailleur·euse·s ont développé lors des mobilisations et des grèves qui pousse aujourd’hui le gouvernement à céder un peu duterrain.

Enfin, à titre de comparaison, rappelons juste que « de 2015 à 2018, la contribution de l’assurance maladie à l’assainissement budgétaire a été de 2,1 milliards » (Le Soir, septembre 2018).

Marchandisation de la santé

D’autres points sont abordés dans cette note concernant la Santé, notamment la mise en concurrence des institutions via une notation de la qualité des soins. Sorte de ranking des hôpitaux, ce qui se présente comme une « transparence sur la qualité des soins » n’est autre qu’une évaluation de la performance. Ce ranking (classement) mettra la pression sur les travailleur·euse·s, sans budget supplémentaire, pour atteindre des objectifs irréalistes afin de faire mieux que ce qui sera bientôt des « adversaires » : les autres institutions de soins. Nous connaissons déjà ça sur le terrain : gagner des parts de marché (des malades!) pour soigner plus, facturer plus et obtenir plus de financement. Voici maintenant que le nouveau gouvernement se fait le porte parole du management et en fait un projet de législature.

concurrence des hôpitaux

La mise en concurrence des hôpitaux/réseaux est effectives, les méthodes de financement n’ont pas changé. Ce qui signifie que nous devrons continuer à justifier et quémander du financement (DIRHM), avec la charge administrative qu’un tel fonctionnement implique. En effet, notre système marche sur la tête, nous sommes financé selon le travail que nous avons pu réalisé/justifié et non le travail que nous devrions pouvoir faire.

C’est une spirale négative qui pousse à la surfacturation, à la triche sur l’encodage, au développement d’un marché concurrentiel de la maladie. Nos vies ne sont pas à vendre ! Notre santé non plus !

l’inégalité d’accès au soin

La note de formation aborde également l’inégalité d’accès au soin sans pour autant proposer de solution ni de budget. Dans un contexte marchand il est en tout cas certain que les institutions de soins vont continuer à préférer les patient.e.s avec des gros portefeuille plutôt que les patient.e.s précaires. Lutter contre l’inégalité d’accès au soin c’est lutter contre la marchandisation du système et proposer une alternative égalitaire, public et gratuite. Ca ne semble pas être le projet de la Vivaldi.

Rien n’est dit sur l’endettement des structures de soins, qui, avec la crise Covid, s’est lourdement aggravé. Ceci nous laisse penser que ces dernières vont devoir recourir à des économies pour retrouver l’équilibre. La pression sur les travailleur·euse·s risque très certainement d’augmenter et la qualité du matériel diminuer. Le recours à l’externalisation (marchandisation) des services (lingerie, entretien ménager) est également une menace qui persiste. Obtenir une qualité des soins satisfaisante dans ce cadre promet d’être difficile.

Enfin, l’âge de la pension ne semble pas être remise en question. Nous devrons donc rester en poste jusqu’à 67 ans… ce qui est clairement une aberration. De plus rien n’est dit à propos des métiers lourds…

Pour conclure

Sous des airs de mesures sociales le nouveau gouvernement ne semble pas dévier de la trajectoire de l’ancienne législature. Il poursuit les politiques d’austérité budgétaire et la réforme libérale des soins de santé. Le gouvernement Vivaldi propose une liste de réformes et autre point d’attention sans pour autant offrir les moyens financiers de leur réalisation. Les bonnes intentions ont donc une chance certaine de se transformer en voeux pieux laissant ainsi la marche libérale avancer.

Rappelons à ce propos les intentions de la Suédoise (N-VA, MR, CD&V, Open VLD) lors de ses débuts : « Lorsque le Gouvernement suédois entre en fonction en 2014, il se veut rassurant concernant les soins de santé. L’accord de majorité déclare ainsi vouloir améliorer l’accessibilité, réduire les inégalités de santé, ou encore renforcer la sécurité et la transparence tarifaire. Les réformes s’inscriront dans la continuité des politiques entamées lors de la législature précédente et seront menées dans le respect de la concertation. Beaucoup de déclarations d’intention et rien de bien concret… si ce n’est la réduction de moitié de la norme de croissance du budget de l’assurance maladie » (Le Soir, septembre 2018).

Ceci ressemble beaucoup aux déclarations d’intention du nouveau gouvernement. Nous avons vu ce que Maggie De Block à fait par la suite… Nous craignons très fortement que le secteur ne ressente aucune amélioration significative dans un tel contexte car l’austérité budgétaire semble rester la norme et avec celle-ci la dérive de marchandisation des soins.

le rapport de force

En réalité, les seules améliorations ont été obtenues par le rapport de force avec l’Etat. Le secteur, les travailleur·euse·s et la population ont su mettre en avant la nécessité de revoir le budget alloué à notre santé ! Mais ce progrès reste malheureusement marginal.

Depuis des années, nous tous, brancardiers, personnel de l’entretien, techniciens et techniciennes, infirmières et infirmiers, aides-soignants, médecins, patients et patientes, famille de patient, et toute personne concernée, sommes les témoins des choix politiques qui amènent à la lente agonie de la sécurité sociale et à la dégradation de la qualité des soins de santé en Belgique.

Ce sont les politiques néolibérales qui sont responsables de cette souffrance dont nous sommes toutes et tous les témoins directs.

Il nous apparait essentiel de continuer à lutter contre un tel système, dont le nouveau gouvernement se fait l’incarnation. Il faut défendre un refinancement massif du secteur ainsi qu’un changement de paradigme dans les soins.

Nous ne voulons pas soigner les portefeuilles, nous voulons soigner la population !

Nous voulons des améliorations significatives des conditions de travail ainsi que de nos conditions salariales. Nous voulons plus de personnel, plus de salaire et plus d’humanité !

Il faut reconsidérer la gestion de notre système de santé afin de préserver ce qui est notre bien commun à toutes et tous !